Douar Wasti, Casablanca: démolitions et expulsions massives
Vendredi 21 septembre, 2018, un contingent de quelque 2000 policiers, militaires et autres forces de l’ordre ont fait irruption dans le quartier de Douar Wasti de Casablanca, au cœur de la zone industrielle littorale d’Ain Sbaa. En l’espace de quelques heures, tout le quartier a été évacué. Plus de 1300 habitations ont été démolies par les bulldozers, et les habitants, presque dix mille avec un très grand nombre d’enfants, ont été contraints de récupérer leurs affaires en très peu de temps et de les entasser sur l’asphalt.
Les négociations qui se poursuivaient depuis des mois ont été interrompues unilatéralement par le gouvernement qui a offert aux habitants des lopins de terrain à bâtir, en pleine campagne, sans même leur octroyer les financements qui sont souvent offerts aux propriétaires des “baraques”, à savoir des habitations non réglementaires, auto-construites, sur des terrains occupés ou contestés. Comme c’est le cas dans beaucoup de quartiers de relogement, le transfert loin de la ville signifiera, pour beaucoup, la perte de leur emploi, de l’accès aux services, la rupture de tous les réseaux de relations, en somme la fin de leur rapport avec la ville.
Depuis 2004, le gouvernement marocain a entrepris l’ambitieux programme Villes Sans Bidonvilles qui ambitionne d’éliminer les dizaines de milliers d’habitations auto-construites de Casablanca en moins de vingt ans. L'objectif “zéro bidonvilles” à atteindre d’ici 2020 est poursuivi à travers des évacuations massives et des transferts forcés qui frappent invariablement les couches les plus faibles de la population, ce qui les appauvrit encore plus mais loin de la ville et à l’abri des regards.
En effet, pour une grande partie des habitants les plus pauvres, une maison auto-construite près de sources de subsistance (usines, appartements où faire le ménage, marchés, port) est souvent l’unique ressource laborieusement conquise au prix d’années de travail; de plus, les rapports étroits qui se nouent au fil des années à l’intérieur des quartiers auto-construits assurent des liens familiaux et amicaux, un contrôle social mutuel, ainsi que des structures économiques qui permettent la subsistance et le soin des enfants.
Pour beaucoup, le transfert implique d’entreprendre à nouveau ce long chemin d'adaptation en partant de zéro, comme on le voit déjà dans les nouveaux quartiers comme Hay Nassim, où des milliers d'habitants de l'ancienne Médina, c'est-à-dire le centre ville, ont été relogés. Les quartiers dits "informels" démolis ou à démolir sont appelés Karier, arabisation du mot français carrière, route, ou douar, c'est-à-dire village.
Il s'agit souvent d’habitations planifiées à l'origine, comme le district d'El Hank à la frontière sud, dont le seul défaut est de se trouver dans des zones plus économiquement exploitables. Certaines parties du centre-ville, les zones adjacentes à la grande mosquée Hassan II, sont même souvent considérées comme des "bidonvilles" et démolies, en dépit de leur valeur historique, patrimoniale et symbolique.
Concernant Douar Wasti, les familles déplacées étaient installées dans la zone depuis les années 1920 et, depuis des années, négociaient une régularisation de la zone, qui aurait bientôt dû se transformer en un "vrai quartier", un hay, grâce à un projet de requalification pour lequel des fonds avaient déjà été alloués. Le projet Villes Sans Bidonvilles a interrompu ce processus, déclenchant l'appropriation néolibérale typique des terres urbaines. Près de la gare d'Ain Diab, entourée de quartiers résidentiels de haut standing, Douar Wasti a été démoli pour faire place à de nouveaux bâtiments, hôtels, appartements pour des classes sociales supérieures.
Les habitants en veulent à juste titre au gouvernement et à la monarchie qui sont revenus sur leurs promesses et ont fait table rase des négociations. L'expulsion a été violente, et beaucoup sont terrifiés: surtout, beaucoup se souviennent d'avoir vu des francs-tireurs en embuscade depuis les bâtiments environnants, prêts à tirer sur la foule en cas de révolte.
Après l’évacuation, des milliers de personnes ont campé en face des décombres, dormant et mangeant dans la rue, attendant que quelqu'un s'intéresse à leur cas. Pour l'instant, très peu de médias ont relayé la nouvelle, probablement effrayés par la répression gouvernementale. Mais comme l'a dit une femme évacuée : "notre constitution parle de dignité, de droits des citoyens. Mais au lieu de cela, sous prétexte d'améliorer la situation, ils nous jettent à la rue ? Ça, c'est la mafia, c'est de la vengeance, ça n'a rien à voir avec notre loyauté envers le roi". "Nous n'avons rien contre le roi, mais cette fois, il a dépassé les limites", dit un jeune homme, un enfant dans les bras.
O(A) seguinte Tradutor(a) Voluntário(a) pelo direito à moradia sem fronteiras da AIH colaborou com a tradução deste texto: